Campagnes d’information et de comparaisons sociales pour réduire la consommation d’énergie et d’eau

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Dans de nombreux contextes, des interventions consistant à informer les individus de leur consommation d’énergie ou d’eau par rapport à celle de leurs voisins et à leur donner des conseils pour faire des économies d’eau ou d’énergie ont systématiquement permis de réduire modérément la consommation.
Electricity meters track residential energy use. Photo: Shutterstock.com
Electricity meters track residential energy use. Photo: Shutterstock.com

Résumé

Dans de nombreux pays, la consommation domestique d’énergie est responsable d’une part importante des émissions de carbone liées à la consommation globale d’énergie – près d’un cinquième aux États-Unis en 2016 [1]. Récemment, des interventions comportementales peu coûteuses visant à modifier les habitudes de consommation par l’éducation ou la persuasion ont suscité un intérêt croissant. L’une de ces interventions, lancée par Opower, consiste à envoyer aux individus des rapports d’une page qui comparent leur consommation énergétique à celle de leurs voisins et leur proposent des conseils pour faire des économies d’énergie.

Des évaluations aléatoires menées sur plus de 115 sites dans quatre pays différents ont systématiquement conclu que ce type de rapport permettait de réduire de façon modeste la consommation d’énergie et d’eau. Ces rapports permettent aux individus de mieux connaître leur propre consommation, qui peut autrement s’avérer difficile à surveiller. Ils renvoient également à des normes sociales liées à la protection de l’environnement, ce qui a motivé certains individus à faire des efforts – souvent ceux qui consommaient le plus. À un coût approximatif de 1 $ US par rapport pour le fournisseur d’énergie, il peut s’agir d’une stratégie rentable pour encourager les économies d’énergie, en particulier dans des contextes où la consommation énergétique est très élevée, comme aux États-Unis [2] [3]. Cependant, la taille réduite des effets observés signifie que ce type d’intervention ne suffira pas à réduire massivement la consommation d’eau et d’énergie. Bien qu’efficaces, ces incitations ne peuvent se substituer à la mise en place d’autres politiques pertinentes dans les domaines du changement climatique et de la consommation d’eau.

Résultats

Dans de nombreux contextes, les individus ont réduit leur consommation d’eau ou d’énergie après avoir pris connaissance de ce qu’ils consommaient par rapport à leurs voisins. Pour 110 fournisseurs d’énergie desservant 8,6 millions de ménages aux États-Unis [2] [3] [4] [5] [6], un fournisseur en Allemagne [7] et un site en Inde [8], faire parvenir aux individus des rapports réguliers sur leur consommation énergétique a permis de réduire la consommation d’énergie. L’envoi du même type de rapports au sujet de l’eau au Costa Rica et dans les États américains de Californie et de Géorgie a également permis de réduire la consommation d’eau [9] [10] [11]. Ces résultats sont en adéquation avec la masse plus générale de données prouvant l’efficacité des nudges, ou coups de pouce – des interventions fondées sur des incitations douces destinées à encourager des comportements spécifiques sans limiter les choix de l’individu. La seule étude qui a pu isoler les effets de l’information de ceux liés aux comparaisons avec les voisins, a constaté que la plus grande efficacité de cette dernière [10].

Les effets, quoique constants, restent limités. Chez plus de 110 fournisseurs d’énergie aux États-Unis, la consommation énergétique a diminué de 1 à 3% sur une période de 7 à 24 mois grâce à l’envoi régulier des rapports d’Opower [2] [4] [6] [8]. Chez le fournisseur d’énergie en Allemagne, la consommation d’électricité a baissé de 0,7 % en un an [7]. Sur un site en Inde, les rapports ont permis de réduire la consommation d’électricité de 7% en quatre mois [8]. Au Costa Rica et dans les États américains de Californie et de Géorgie, l’envoi de rapports sur la consommation d’eau a permis de faire baisser cette consommation de 3,7 à 5,6% sur une période de deux à douze mois [9] [10] [11]. Bien que ces rapports individuels soient efficaces, ils ne suffiront pas à eux seuls à réduire les émissions de carbone de manière significative, ni à faire face aux problèmes de pénurie d’eau. Par exemple, si l’intégralité de la population américaine recevait de tels rapports sur sa consommation d’énergie et que les effets de ces rapports étaient durables et restaient les mêmes à une telle échelle, ils permettraient seulement de réaliser 0,8 à 1,3 % environ de l’objectif de réduction d’émissions que les États-Unis se sont engagés à tenir dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat.*

Aux États-Unis, les ménages ont continué à faire des économies d’énergie même après l’arrêt des rapports. Chez trois fournisseurs d’énergie américains, les ménages qui avaient cessé de recevoir des rapports réguliers d’Opower depuis deux ans économisaient encore 2% d’énergie supplémentaires par rapport au groupe témoin. L’effet des rapports n’a diminué que de 10 à 20 % par an après leur arrêt [2]. Les recherches futures devront en priorité tenter de mesurer l’impact à plus long terme de ces rapports sur la consommation domestique d’énergie. En effet, l’étude ci-dessus est l’une des seules évaluations aléatoires qui analyse la persistance des effets au fil des ans, ou après que les incitations aient cessé.

Aux États-Unis, les rapports ont fonctionné parce qu’ils ont poussé les individus à modifier leurs habitudes et leurs investissements dans des technologies à faible consommation énergétique. À court terme, ces rapports mensuels ont permis de rappeler régulièrement aux ménages la nécessité de faire des économies d’énergie. Chez trois fournisseurs américains, les chercheurs ont constaté que les ménages réduisaient considérablement leur consommation d’énergie pendant 1 à 2 semaines après la réception de chaque rapport avant de revenir à leur consommation normale. Cela suggère que les économies à court terme s’expliquaient surtout par des changements de comportement, les individus veillant par exemple à ajuster les thermostats, à éteindre les lumières et à débrancher les appareils électroniques [2]. Toujours aux États-Unis, dans le cadre d’une étude portant sur les expériences d’Opower auprès de 21 fournisseurs d’énergie, des chercheurs ont comparé la consommation énergétique avant et après les ventes de maisons (à la suite desquelles les rapports d’Opower cessaient d’être envoyés). Les résultats montrent que 35 à 55 % de la baisse de consommation d’énergie étaient liés à des investissements dans des technologies à faible consommation énergétique [3].

Si l’on décide d’envoyer ce type de rapports, il peut être utile de cibler spécifiquement les individus susceptibles de réduire leur consommation après les avoir reçus et/ou ceux qui souhaitent les recevoir. Cinq évaluations aléatoires ont conclu que les ménages dont la consommation relative était plus élevée avaient tendance à réduire davantage leur consommation d’eau ou d’énergie après la réception des rapports [4] [8] [9] [10] [12]. Dans la mesure où les gros consommateurs ont tendance à être plus riches, il est possible qu’ils soient moins enclins à réduire leur consommation en réaction à une augmentation des prix. Les comparaisons avec les voisins peuvent donc être un moyen efficace d’encourager ce groupe spécifique à faire des économies d’énergie. 

Il est possible également que les rapports sur la consommation domestique d’énergie soient plus efficaces aux endroits où la consommation globale est plus élevée. Par exemple, les chercheurs qui ont évalué l’efficacité de tels rapports en Allemagne suggèrent que la petite taille de l’effet observé pourrait refléter le fait qu’en moyenne, les ménages allemands consomment moins d’énergie que les ménages américains [7]. Il y a par ailleurs un risque pour que les ménages qui consomment le moins d’énergie augmentent leur consommation en découvrant qu’ils consomment moins que leurs pairs. C’est en effet ce qu’ont constaté les chercheurs qui ont évalué une intervention par email fonctionnant sur le même principe que les rapports en Australie [12].

Une étude menée à New York a également mesuré l’importance que les individus attachaient à ces rapports sur leur consommation d’énergie et a constaté que plus d’un tiers des ménages participants auraient préféré ne pas les recevoir du tout [13]. Ainsi, les études futures devront chercher en priorité à rendre compte de l’ensemble des coûts et des avantages de ce type de rapports, y compris le coût pour l’utilisateur, afin d’en évaluer la valeur en tant que politique publique potentielle. Les fournisseurs d’énergie pourraient eux aussi améliorer la satisfaction globale de certains clients et réduire leurs coûts s’ils se contentaient d’envoyer des rapports à ceux qui le souhaitent et y accordent de l'importance [13] [14].

*Ce calcul part du principe que les effets persistent dans le temps et à l’échelle concernée. L’estimation la plus basse fait état d’une baisse de la consommation de l’ordre de 1,26% (Allcott 2015), tandis que la plus haute prévoit une réduction de 2% (Allcott 2011). En 2016 aux États-Unis, le client résidentiel moyen des fournisseurs d’énergie consommait 10 766 kWh. L’envoi de rapports sur la consommation domestique d’énergie permettrait de réduire cette consommation de 135,65 à 215,32 kWh par an selon le pourcentage de baisse estimé. Si tous les consommateurs résidentiels d’électricité des États-Unis (soit 131 068 760 personnes en 2016) recevaient un rapport sur leur consommation d’énergie, la consommation nationale annuelle d’électricité connaîtrait une baisse allant de 28 221 725 403 kWh à 28 221 725 403 kWh. Si on convertit cette baisse en CO2 en utilisant l’intensité carbone de 2016, soit 0,000744 tonnes métriques de CO2 par kWh d’électricité produite, l’envoi de rapports sur la consommation domestique d’énergie à l’échelle nationale pourrait éviter l’émission de 13 228 087 à 20 996 964 tonnes métriques de CO2 aux États-Unis. Ce calcul part du principe que l’intensité carbone actuelle de la production d’énergie reste la même. Si l’intensité carbone diminuait, l’effet serait plus limité. L’accord de Paris a fixé comme objectif une réduction de 26% des émissions de CO2 à l’horizon 2020 par rapport aux niveaux de 2005. Pour les États-Unis, cet objectif correspond à 1 594 275 800 tonnes métriques, dont 13 228 087 tonnes métriques et 20 996 964 tonnes métriques représentent 0,8 et 1,3 % respectivement.

Responsables du secteur: Michael Greenstone and Mushfiq Mobarak
Auteur: Rebecca Toole

Insight author(s):
Suggested citation:

Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab (J-PAL). 2018. "Reducing energy and water use through information and social comparisons." J-PAL Policy Insights. Dernière modification : avril 2018. https://doi.org/10.31485/pi.2266.2018 

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