Utiliser des évaluations d’impact rigoureuses pour favoriser l’accès à l’emploi

Pôle Emploi, l’établissement public chargé de l’emploi en France, a pour pratique d’intégrer les conclusions scientifiques des évaluations aléatoires dans ses décisions stratégiques afin d’améliorer la situation professionnelle des demandeurs d’emploi sur tout le territoire français.
French man working on his CV as part of a youth employment program
Un demandeur d'emploi français travaille sur son CV. Photo: Aude Guerrucci

En France, la lutte contre le chômage représente un défi persistant pour les politiques sociales. Afin d’aider les demandeurs d’emploi à trouver du travail, le gouvernement a créé en 2008 un service public de l’emploi (connu sous le nom de Pôle emploi). Dès sa création, cette agence a mis en place un comité d’évaluation pour veiller à ce que la conception de ses programmes repose sur des données probantes. 

Les résultats de nombreuses évaluations d’impact, y compris des évaluations aléatoires menées par des chercheurs affiliés à J-PAL, ont ainsi orienté les décisions de Pôle Emploi en matière de politiques et de programmes. Ces études ont notamment mesuré de façon rigoureuse l’efficacité de programmes publics et privés d’accompagnement à la recherche d’emploi, de dispositifs d’accompagnement collectif, et d’une aide à l’orientation professionnelle pour les jeunes demandeurs d’emploi, entre autres programmes. Le personnel de Pôle Emploi a également participé à des formations organisées par J-PAL, renforçant ainsi ses capacités à mener des évaluations d’impact. La mise en application des résultats de la recherche et la production de nouvelles données probantes ont permis à Pôle Emploi de consolider une culture déjà solide de l’utilisation des preuves. 

Le problème

Depuis plusieurs décennies, la France connaît un taux de chômage élevé, avec notamment un fort taux de chômage des jeunes et de chômage de longue durée.

La France connaît depuis quelques décennies un taux de chômage élevé qui se maintient à un niveau supérieur à la moyenne de l’OCDE, y compris le chômage de longue durée, qui touche actuellement près de 40 % des demandeurs d’emploi français.12 Chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans, le taux de chômage est plus de trois fois supérieur à la moyenne nationale.3 

Outre les effets négatifs du chômage sur l’individu, tels que la perte de revenus, la détérioration de la santé mentale et la baisse du montant des salaires futurs, le chômage de courte et de longue durée peut également avoir des conséquences négatives à l’échelle de la société, comme des pertes de productivité et un recul de la cohésion sociale. Par ailleurs, les jeunes sont souvent confrontés à des obstacles supplémentaires sur le marché du travail, et peuvent notamment avoir des difficultés à trouver un premier emploi ou à obtenir un poste stable et pérenne. 

En 2008, le gouvernement français a créé Pôle emploi, organisme public destiné à simplifier la recherche d’emploi en servant d’interlocuteur unique et centralisé aux demandeurs d’emploi lors de leur inscription au chômage.4 Ces derniers passent désormais un premier entretien à Pôle emploi, à l’issue duquel ils se voient attribuer un conseiller chargé de les accompagner dans la durée. L’agence propose notamment des services d’aide à la recherche d’emploi, d’accompagnement professionnel personnalisé, de formation, d’aide au recrutement pour les entreprises, etc. 

La solution

Dès sa création, Pôle emploi a instauré une culture de la prise de décision basée sur les preuves. 

L’agence souhaite s’assurer que les services qu’elle propose sont à la fois innovants et fondés sur des données probantes. Pour évaluer l’efficacité de ses programmes, elle a donc créé un Comité Stratégique et d’Évaluation, qui réunit des représentants de Pôle emploi et des experts indépendants en évaluation. Ce comité définit la stratégie d’évaluation de l’agence, avec pour objectif de mieux comprendre les résultats des évaluations et de les diffuser plus efficacement.

Le comité veille à ce que toute nouvelle évaluation permette non seulement de mesurer l’impact d’un programme donné, mais aussi d’identifier les mécanismes sous-jacents qui peuvent expliquer les résultats de différentes études. Le comité soumet des propositions d’évaluation au conseil d’administration de Pôle emploi pour approbation.

Lorsqu’une évaluation est terminée, le comité en communique les résultats au conseil d’administration et formule des recommandations sur les changements à apporter aux services de l’agence, le cas échéant. Ce processus permet de mettre en pratique les enseignements tirés des évaluations afin d’aider un plus grand nombre de personnes à trouver un emploi.

« Chez Pôle emploi, nous plaçons l’évaluation au cœur même de nos décisions stratégiques. Dès la création de l’agence, nous avons tenu à ce que l’évaluation fasse partie intégrante du processus d’élaboration des nouvelles politiques de l’emploi, et à ce qu’aucune stratégie ne soit formulée sans tenir compte des résultats des évaluations. »

— Patricia Ferrand, Vice-Présidente du Conseil d’administration de Pôle emploi et Présidente du Comité stratégique et d’évaluation de Pôle emploi.

Des résultats aux politiques

Les résultats des évaluations aléatoires guident les processus décisionnels de Pôle emploi, aidant ainsi l’agence à améliorer ses programmes et à orienter ses futures recherches.

La création d’un comité chargé de l’évaluation des politiques reflète l’engagement de Pôle emploi en faveur d’une prise de décision fondée sur les preuves, qui a permis d’instaurer un cycle d’innovation, d’expérimentation et d’apprentissage au sein de l’institution. 

Depuis 2008, les membres affiliés de J-PAL ont mené plusieurs évaluations aléatoires en partenariat avec Pôle emploi, mais aussi avec les missions locales, entités distinctes chargées d’accompagner les jeunes de moins de 25 ans vers l’emploi. Ces évaluations ont mesuré de façon rigoureuse l’efficacité de leurs programmes, notamment des services publics et privés d’accompagnement à la recherche d’emploi, ainsi que des dispositifs d’accompagnement collectif et d’aide à l’orientation professionnelle pour les jeunes demandeurs d’emploi. Ces évaluations sont intervenues après une série d’études d’observation au cours desquelles Bruno Crépon et Marc Gurgand, deux chercheurs affiliés à J-PAL, ont présenté au personnel de Pôle emploi la méthodologie des évaluations aléatoires, à une époque où ce type d’évaluation des politiques publiques était tout à fait nouveau en France.

L’un des tout premiers exemples de cette collaboration est une étude réalisée par Luc Behaghel (Ecole d’Economie de Paris), Bruno Crépon (ENSAE) et Marc Gurgand (Ecole d’Economie de Paris), tous trois affiliés à J-PAL. Ces chercheurs ont réalisé une évaluation aléatoire de deux programmes impliquant près de 44 000 demandeurs d’emploi exposés à un risque de chômage de longue durée, afin de mesurer l’impact d’un accompagnement renforcé proposé par des prestataires privés ou par l’État. L’accompagnement intensif a permis aux participants de trouver un emploi plus rapidement que le programme classique. En outre, l’accompagnement s’est avéré plus efficace lorsqu’il était dispensé par le service public plutôt que par des prestataires privés. 

Les résultats de cette étude, combinés à d’autres données probantes provenant de toute l’Europe, ont donné lieu à des discussions qui ont finalement abouti à un revirement dans la stratégie de sous-traitance de l’agence, qui a décidé de proposer un accompagnement intensif en interne aux demandeurs d’emploi les plus exposés au risque de chômage de longue durée, tout en confiant à des prestataires de services le soin de travailler avec les demandeurs d’emploi les plus autonomes. Pôle emploi a ainsi pu concentrer les efforts de ses équipes sur l’accompagnement des individus qui rencontrent les plus grosses difficultés pour obtenir un emploi.

L’intérêt suscité par cette première étude a soulevé des questions plus larges, comme celle de la présence potentielle d’effets de déplacement, l’amélioration de la situation professionnelle des participants pouvant se faire au détriment des demandeurs d’emploi qui n’ont pas bénéficié d’un tel accompagnement. En réponse à ces questionnements, Bruno Crépon, Esther Duflo (Massachusetts Institute of Technology), Marc Gurgand, Roland Rathelot (ENSAE) et Philippe Zamora (ministère français du Travail), membres affiliés de J-PAL, ont mesuré l’impact d’un programme d’aide à l’orientation professionnelle destiné aux jeunes demandeurs d’emploi ayant fait des études supérieures, afin de déterminer si un tel accompagnement générait un effet de déplacement. 

Si le dispositif d’accompagnement professionnel a aidé les participants à obtenir un emploi stable à court terme, il n’a eu aucun impact sur leur situation professionnelle à long terme. En outre, l’impact positif initial a effectivement généré un effet de déplacement, en particulier sur les marchés du travail où il y avait peu de postes disponibles.

Pôle emploi a modifié son approche au fil du temps, passant d’une focalisation presque exclusive sur l’amélioration de la situation professionnelle des demandeurs d’emploi à une stratégie de collaboration avec les entreprises privées afin d’identifier les principaux défis auxquels elles sont confrontées en matière de recrutement et d’y répondre au mieux. Par exemple, en 2015, Pôle emploi a commencé à proposer aux entreprises des services gratuits d’aide au recrutement. 

Dans le cadre d’une autre évaluation récente, les chercheurs Bruno Crépon, Yann Algan (Sciences Po) et Dylan Glover (INSEAD) se sont associés à Pôle emploi pour déterminer dans quelle mesure les services publics d’aide au recrutement pouvaient contribuer à réduire les frais de recrutement des entreprises et à améliorer les résultats en matière d’emploi. Les conclusions de l’évaluation ont montré que ces services d’aide au recrutement avaient aidé les entreprises à réduire leurs frais de recrutement et les avaient conduites à publier davantage d’offres d’emploi et à recruter un plus grand nombre de personnes, par rapport aux entreprises n’ayant pas bénéficié de tels services. (Une autre évaluation, lancée en 2009 par Luc Behaghel, Bruno Crépon et Thomas Le Barbanchon (Université Bocconi) a étudié l’impact de l’envoi de CV anonymes aux recruteurs, mais a constaté que cette intervention n’avait pas eu l’effet escompté, à savoir réduire la discrimination à l’embauche. Pour plus de détails, voir ici.)

S’appuyant sur les résultats de précédentes études, des recherches en cours examinent un nouvel ensemble de politiques ciblant les entreprises privées. Ces recherches portent par exemple sur l’utilisation de l’intelligence artificielle pour améliorer les propositions de postes adressées aux demandeurs d’emploi, ou encore sur l’impact de programmes de formation professionnelle à distance. Une autre évaluation en cours porte sur une intervention qui consiste à proposer des offres d’emploi sur la base des préférences relatives des demandeurs d’emploi en matière de futur salaire, de lieu de travail, de profession, etc., par opposition à la pratique actuelle qui attribue une pondération fixe à chaque critère. Des chercheurs sont également en train d’évaluer des interventions qui aident les demandeurs d’emploi à formuler des attentes réalistes et à recadrer leurs recherches en réponse à des informations pertinentes.

La collecte de données représente souvent une part importante des coûts de mise en œuvre des évaluations d’impact. Utiliser des données administratives existantes est un bon moyen de réduire cette charge financière pour les administrations publiques. Or, nombre de ces études menées conjointement avec Pôle emploi exploitent des données administratives et sont mises en œuvre par les conseillers dans le cadre de leurs interactions régulières avec les demandeurs d’emploi, ce qui rend ces évaluations peu coûteuses. 

Du fait de la collaboration de longue date entre Pôle emploi et les affiliés de J-PAL en matière de recherche, les évaluations sont souvent conçues de manière à impliquer activement le personnel de l’agence, dont certains ont participé aux formations à l’évaluation d’impact organisées par J-PAL. Grâce à cette collaboration, le personnel de Pôle emploi a développé une bonne compréhension des évaluations aléatoires et a désormais la capacité de mener ses propres évaluations de manière indépendante, ce qui lui permet de s’assurer que ses programmes sont de plus en plus efficaces pour aider les demandeurs d’emploi à trouver un emploi stable et pérenne. 

Suggested citation:

Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab (J-PAL). 2022. "Using rigorous impact evaluation to help people find jobs." J-PAL Evidence to Policy Case Study. Dernière modification : septembre 2022.

1.

Le Conseil d’orientation pour l’Emploi. 2011. “Chômage de longue durée.” https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/coe-rapport-chomage-longue-duree-decembre-2011.pdf

2.
OECD. 2021. “Long-term unemployment rate (indicator).” doi: 10.1787/76471ad5-en (Accessed on 02 February 2021).
3.
France has seen unemployment rates between 7.4 percent in 2008 to 12.4 percent in 1996. Source: OECD. (2021). “Unemployment rate by age group (indicator).” doi: 10.1787/997c8750-en (Accessed on 17 February 2021)
4.
Pôle emploi was created by merging two agencies, the Agence nationale pour l'emploi (ANPE) and the Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assédic). Previously, job seekers had to sign up separately with the ANPE and the Assédic and go through multiple appointments with different case workers.