Bourses d'études secondaires pour favoriser le développement des compétences et l'autonomisation des filles au Niger

Location:
Niger
Sample:
2360 filles en 285 villages
Chronologie:
2018
AEA RCT registration number:
AEARCTR-0003296
Partners:

Dans de nombreux pays à faible revenu, les filles abandonnent souvent l'école, se marient et ont des enfants très jeunes, ce qui crée des inégalités entre les sexes. Au Niger, on rencontre certaines des plus grandes inégalités entre les sexes au monde, notamment des taux élevés de mariage d'enfants et un faible taux de scolarisation secondaire. Le gouvernement du Niger, l'Institut National de la Statistique du Niger et la Banque mondiale se sont associés à des chercheurs pour évaluer l'impact de bourses d'études secondaires pour les filles sur le développement de leurs compétences et leur autonomisation. La réduction des obstacles financiers et logistiques à la scolarisation des filles dans les zones rurales du Niger a amélioré leur taux de scolarisation secondaire, réduit les mariages précoces et amélioré leur bien-être auto déclaré.

Policy issue

Dans de nombreux pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire, les inégalités de genre commencent dès le plus jeune âge et influencent les trajectoires à long terme des individus. En particulier, le mariage d’enfants a souvent des effets importants à long terme sur les trajectoires de vie des femmes. Bien que le mariage d’enfants soit illégal dans de nombreux pays, ces lois ne sont souvent pas appliquées strictement. Les femmes qui se marient jeunes sont plus susceptibles d'abandonner l'école, ce qui réduit leurs chances d'avoir une carrière professionnelle. En outre, les femmes qui se marient jeunes ont tendance à avoir des enfants à un âge plus précoce, ce qui peut entraîner un risque important pour leur santé. Les recherches suggèrent aussi que les femmes qui se marient jeunes ont en moyenne moins de pouvoir de décision au sein de leur ménage et sont plus susceptibles de subir des violences domestiques.1 

Augmenter le niveau d’éducation peut être efficace pour réduire le mariage d'enfants, car une éducation plus longue peut réduire le temps disponible pour nouer des relations amoureuses, accroître la motivation et les aspirations d’une personne ou développer des compétences tangibles qui rendent le marché du travail plus attrayant et le mariage précoce moins attrayant. Cependant, de nombreux obstacles peuvent empêcher les filles d'accéder à l'éducation, notamment les coûts et les longues distances pour aller à l'école. Est-ce qu’encourager les filles à rester à l'école en leur offrant des bourses d'études qui réduisent les contraintes financières et logistiques de fréquentation scolaire peut réduire les taux de mariage d’enfants et améliorer leurs futures trajectoires économiques et sociales ?

Context of the evaluation

Le Niger a un des taux de mariage d'enfants les plus élevés au monde, 76 % des femmes âgées de 20 à 24 ans se mariant avant l'âge de 18 ans (et 28 % avant l'âge de 15 ans). Ces taux élevés peuvent être dus en partie au fait que les relations sexuelles et les grossesses avant le mariage sont extrêmement stigmatisées au Niger, et que certaines familles considèrent le mariage précoce comme le meilleur moyen de prévenir ces situations. En outre, même si la scolarisation dans le primaire a considérablement augmenté au Niger ces dernières années, la fréquentation de l'école secondaire est plus limitée. En 2016, seules 36 % des filles ont commencé le premier cycle du secondaire et seulement 14 % l'ont achevé. Une des raisons peut être le réseau d'écoles secondaires très clairsemé dans les zones rurales, où 83 % de la population réside. Pour les habitants de ces communautés rurales, les coûts associés aux longs trajets pour aller à l'école peuvent réduire la probabilité que les filles aillent à l'école. Afin d'obtenir une éducation secondaire, les filles peuvent avoir besoin de rester dans une famille d'accueil pendant l'année scolaire - une tradition ancienne au Niger—ce qui est financièrement impossible pour beaucoup de familles. 

Au cours de la première année de cette étude, les filles avaient 13,3 ans en moyenne. Leurs aspirations éducatives étaient assez élevées par rapport au niveau d'éducation typique au Niger; 58 % espéraient suivre un enseignement supérieur, tandis que 27 % d'entre elles espéraient suivre simplement un enseignement secondaire. De plus, les filles de cette étude avaient tendance à venir de ménages relativement défavorisés, puisque 72 % des chefs de ménage n'étaient jamais allés à l'école et que 24 % n'avaient pas dépassé l'école primaire. Seulement 1 % des filles étaient mariées, mais 5 % étaient promises. Les jeunes filles considéraient que l'âge idéal pour le mariage était de 18,4 ans et l'âge idéal pour avoir un premier enfant était de 20,6 ans. En outre, pour être éligibles au programme, les filles devaient avoir une moyenne minimale, ne pas avoir de problèmes de discipline et s'inscrire dans l'école secondaire la plus proche, lors de leur dernière année d'école primaire (cinquième année).
 

A group of girls receive stand in a row, holding their scholarships.
Des filles recevant leur bourse d'études pour l'école secondaire dans une région rurale du Niger.
Photo: Salifou | Hikima

Details of the intervention

En partenariat avec le gouvernement du Niger, l'Institut National de la Statistique et la Banque mondiale, les chercheurs ont évalué l'impact d'une bourse d'études de trois ans, accordée aux filles ne disposant pas d'une école secondaire dans leur village, sur leur niveau d’éducation et leur taux de mariage, ainsi que sur l'autonomisation des femmes et les opportunités économiques.

La bourse offrait 180.000 FCFA (306 USD en 2018) par le biais de neuf transferts mensuels pendant les années scolaires de 2017-2018 à 2019-2020, pour financer leurs frais de subsistance, sous condition que les filles restent inscrites et ne redoublent pas plus d'une année. Les familles d'accueil des filles ont reçu 15.000 FCFA (25,50 USD) chaque mois pour l'hébergement. Les familles des filles ont reçu 5.000 FCFA (8,50 USD) supplémentaires par mois pour les dépenses personnelles, les fournitures scolaires et les uniformes. Au total, cette bourse équivalait à 53 % du revenu individuel moyen au Niger en 2018. La bourse offrait également quatre heures par semaine de tutorat optionnel de rattrapage en français et en mathématiques.

Parmi les 352 villages éligibles (ceux qui n'avaient pas d'école secondaire) identifiés par le gouvernement du Niger, les chercheurs en ont sélectionné aléatoirement 285 pour participer au programme. Les chercheurs ont ensuite assigné aléatoirement à chaque village un nombre variable de bourses, aux 2360 filles éligibles incluses dans l'étude :

  1. Groupe de bourses universelles : Dans 95 villages (environ 785 filles éligibles), chaque fille éligible a reçu une bourse.
  2. Groupe mixte : Dans 95 villages, une moitié sélectionnée au hasard de toutes les filles éligibles a reçu une bourse tandis que l'autre moitié n'en a pas reçu.
  3. Groupe de comparaison : Dans 95 villages, aucune fille n'a reçu de bourses.

À cause de problèmes de mise en œuvre, notamment le manque de banques locales dans lesquelles déposer l'argent, beaucoup de filles n'ont pas reçu leur premier versement avant la fin de leur première année d'école secondaire, soit en juin 2018. 

Les chercheurs ont réalisé une enquête de suivi en août 2020, dans laquelle les filles, leur mère et le chef de famille ont tous été interrogés. Les chercheurs ont interrogé les filles sur leur niveau d'éducation, leur statut marital, leur fécondité, leurs aspirations (éducatives, professionnelles et familiales), et leurs opinions sur les rôles de genre. Ils ont aussi posé des questions et construit des indices pour mesurer les compétences académiques des filles, leurs compétences psychosociales et leurs connaissances en matière de santé sexuelle et reproductive.2 Le chef de ménage a été interrogé sur chaque membre du ménage, tandis que les mères étaient questionnées sur leurs aspirations éducatives, professionnelles et familiales pour chaque enfant.

Results and policy lessons

La réduction des obstacles financiers et logistiques pour les filles des zones rurales du Niger a amélioré leur inscription à l'école secondaire, réduit les mariages précoces et amélioré leur bien-être autodéclaré. Les filles ont également exprimé des ambitions professionnelles accrues et un âge souhaité plus élevé pour le mariage et la naissance des enfants.

Scolarité et résultats scolaires 

Les filles du groupe des bourses d'études universelles avaient des taux d'abandon scolaire beaucoup plus faibles que celles du groupe témoin : 81 % étaient toujours inscrites à l'école trois ans plus tard, comparé à 60 % dans le groupe témoin. L'intervention n'a pas augmenté le pourcentage de filles inscrites en 8e année (la classe dans laquelle elles auraient dû être inscrites au moment du suivi si elles n'avaient pas redoublées), mais elle a augmenté la proportion de filles inscrites en 7e année de 20 points de pourcentage (100 %). Ces résultats peuvent suggérer que l'intervention a été plus efficace pour encourager les filles qui avaient des difficultés à rester à l'école. 

Les filles du groupe des bourses universelles ont également obtenu de meilleurs résultats scolaires en mathématiques, bien qu'en français, il n'y ait eu qu'une amélioration de la capacité à lire les lettres.  En mathématiques, la proportion de filles qui pouvaient faire des additions, des soustractions, des multiplications et des divisions a augmenté d'au moins 14 points de pourcentage (la connaissance de ces compétences dans le groupe de comparaison variait de 72 % à 47 %). 

Mariage, connaissances sexuelles et compétences psychosociales 

Les filles du groupe des bourses universelles avaient une probabilité moindre de 7 points de pourcentage (50 %) d'être mariées à la fin de l'étude par rapport au groupe témoin. Cependant, les filles du groupe recevant les bourses avaient une probabilité d'avoir été enceinte statistiquement équivalente à celle des filles du groupe témoin, et elles n'avaient pas plus de connaissances en matière de sexualité ou de reproduction par rapport au groupe témoin. Enfin, l'intervention n'a pas eu d'impact sur les compétences psychosociales. 

Satisfaction et aspiration

Les filles du groupe des bourses universelles rapportent une plus grande satisfaction de vie d'environ 0,25 écart-type, par rapport au groupe témoin. Cela suggère que, pendant l'adolescence, rester au collège est bénéfique pour le bien-être individuel, même pour celles qui ont des difficultés scolaires et doivent redoubler une classe. 

Le désir des filles de ce groupe, d'aller au lycée (deuxième cycle du secondaire) a augmenté de 7 points de pourcentage (11 %), de terminer le lycée de 8 points de pourcentage (13 %) et de poursuivre des études supérieures de 16 points de pourcentage (53 %) par rapport au groupe témoin. Leur revenu attendu a également augmenté de 15 %, et elles étaient plus susceptibles de déclarer vouloir un emploi moderne plutôt qu'un emploi traditionnel. L'âge auquel elles souhaitent se marier et avoir leur premier enfant a également augmenté, de 0,7 et 0,9 an, par rapport à une moyenne de 20,0 et 21,3 ans respectivement dans le groupe témoin. 

Les mères des filles du groupe des bourses d'études universelles ont également exprimé des ambitions accrues pour leurs filles, la part des mères souhaitant que leur fille aille à l’université ayant augmenté de 10 points de pourcentage (36 %). La proportion de mères souhaitant que leur fille ait une activité professionnelle a également augmenté de 13 points de pourcentage (18 %). Enfin, l'âge auquel elles souhaitent que leur fille se marie a augmenté de 0,6 an, par rapport à une moyenne de 20,2 ans dans le groupe témoin. Ces résultats suggèrent que les préférences maternelles pour le mariage précoce sont quelque peu malléables, et ne constituent pas un obstacle insurmontable à l'autonomisation des femmes.  

Effets sur des autres filles 

On pourrait s'interroger sur le fait que cette intervention, même si elle est efficace pour améliorer la vie des filles qui reçoivent des bourses, pourrait impacter négativement les filles proches qui n'ont pas reçu de bourse. Les chercheurs ont constaté que les bourses n'ont pas eu d'impact, négatif ou positif, sur les filles qui n'en ont pas bénéficié directement (soit les sœurs des filles qui ont reçu des bourses, soit les filles éligibles dans les villages où seulement quelques filles ont reçu des bourses).

Dans l’ensemble, l'élimination des obstacles financiers à l'accès à l'école secondaire génère des avantages importants et indéniables pour les filles qui ont reçu des bourses. En termes de mécanismes, l'effet sur l'éducation et sur le statut matrimonial des filles n'est pas simplement dû à leur présence forcée à l'école, car les chercheurs trouvent des preuves suggérant que l'amélioration du capital humain et la modernisation des points de vue jouent également un rôle. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer les mécanismes potentiels des effets de ces bourses, et pour quelles populations des interventions similaires seraient les plus efficaces.

1.
Jensen, R., & Thornton, R. (2003). Early female marriage in the developing world. Gender & Development, 11(2), 9-19.
2.
Les chercheurs ont développé l'indice des aptitudes scolaires par le biais d'une série de tests standardisés sur la lecture, l'écriture et le calcul ; l'indice des aptitudes psychosociales en posant des questions conçues pour mesurer la résolution de problèmes, la persévérance, la conscience de soi, les compétences interpersonnelles, l'efficacité personnelle et la créativité ; et l'indice des connaissances en matière de santé sexuelle et reproductive en posant des questions pour évaluer les connaissances sur la grossesse et l'accouchement, les méthodes contraceptives et la transmission et la prévention du VIH.